“Le discernement vocationnel ne se fait pas en un acte ponctuel…; c’est un long processus, qui se développe à travers le temps, pendant lequel il faut fixer l’attention sur les indications avec lesquelles le Seigneur précise et spécifie une vocation qui est exclusivement personnelle et irrépétible… Marie elle-même progresse dans la conscience de sa vocation à travers la méditation des paroles qu’elle écoute et les événements qui lui arrivent, aussi ceux qu’elle ne comprend pas (cf. Lc 2,50-51)”. 63
Lucas nous a laissé un portrait de la mère de Jésus qu’il détaille, de façon paradigmatique, qu’il n’est possible maintenir la foi en Dieu et la fidélité à son projet sans rester attentif à ce qui succède, en continu discernement. Avant d’avoir été appelée à devenir la mère du fils de Dieu (Lc 1,26-38), de même que quand elle l’accoucha à Bethleem (Lc 2,1-20), le présenta à Dieu, quarante jours après, au temple (Lc 2,22-40) ou il s’égara, déjà adolescent, à Jérusalem (Lc 2,41-52), Marie s’est maintenue attentive à ce que Dieu lui demandait, sans l’oublier simplement parce qu’elle ne le comprenait pas (cf. Lc 1,29; 2,19.33.48.50-51).
Le fait de s’être mise au service du projet salvifique de Dieu l’a obligée à parcourir un chemin de foi dans lequel, au fur et à mesure qu’elle y progressait, lui devenait moins évidentes et immédiates et beaucoup plus exigeantes et pénibles, les décisions de Dieu. Elle est devenue mère après s’être demandé ce que signifiait ce qu’elle écoutait (Lc 1,29) et l’avoir accepté (Lc 1,38). Elle a dû se faire contemplative pour pouvoir continuer à être serviteuse et mère (Lc 2,19.33.51).
Pour réaliser son projet de salvation Dieu a besoin de croyants qui offrent accueil à sa Parole et entrailles à son Fils. C’est ce qu’Il a révélé à Marie, lorsque en lui communiquant son désir de donner un sauveur à son peuple a proposé à Marie de devenir mère tout en étant vierge. Ce que Marie ne savait pas encore – et elle a dû l’apprendre pendant toute sa vie – c’est que, une fois devenue la serviteuse de Dieu et avoir conçu le fils dans ses entrailles, elle resterait pour toujours attachée à tous les deux. Ni lorsqu’elle aura accouché le fils de Dieu à Bethléem (Lc 2,19), ni lorsque son premier-né deviendra tout un homme (Lc 2,40.52). Avoir accepté le projet de Dieu a obligé Marie à vivre en continuel discernement, « en gardant tout ça dans son cœur » (Lc 2,51).
“Dans sa ‘petitesse’, la Vierge épouse promise à Joseph, a éprouvé la faiblesse et la difficulté pour comprendre la mystérieuse volonté de Dieu (cf. Lc 1,34). Elle est aussi appelée à vivre l’exode de soi-même et de ses projets, en apprenant à se livrer et à confier…Consciente de Dieu est avec elle, Marie ouvre son cœur au ‘Me voici’ et ainsi elle inaugure le chemin de l’Évangile (cf. Lc 1,38)”.64
C’est une erreur – assez commune, d’ailleurs – que de considérer la maternité divine comme le sommet de l’expérience que Marie a fait de Dieu. Nazareth n’a pas été le terme du chemin marial de foi ((cf. At 1,14), mais son point de départ (Lc 1,26). Lorsque Gabriel, émissaire personnel de Dieu, a confié à Marie son plan de salut, la vierge de Nazareth se trouvait plongée dans une vie quotidienne d’un humble village rural (cf. Jo 1,46) 65, déjà engagée, « mariée avec un homme appelé Joseph » (Lc 1,26; cf. 2,5; Mt 1,23; Dt 22,23)66. Elle a su que Dieu pensait à sauver son peuple au moment même où elle a connu que Dieu contait sur elle pour devenir mère de son Fils.
L’annonce de la naissance de Jésus a, donc, coïncidé avec l’invitation à devenir mère de Dieu. Le salut du peuple, projeté par Dieu, concourait avec la vocation de Marie, élue de Dieu. Le fait que pour Dieu n’importait pas l’obstacle de son actuelle virginité ni son compromis matrimonial déjà pris, la priva d’excuses sur lesquelles appuyer sa résistance. Et l’ignorance sur comment serait-il possible cette maternité annoncée a rendu aveugle son obéissance à l’omnipuissance divine (Lc 1,34-37). La béatitude de Marie n’a pas été de réussir à être mère de Dieu, mais de se fier à lui (cf. Lc 1,45; 11,27-28) 67. À celui qui croit totalement Dieu le crée, en l’engendrant, de façon profonde aux entrailles (Lc 1,38).
Le récit de l’annonciation présente une structure formelle claire. À la présentation des personnages (Lc 1,26-27) suit l’apparition de l’ange et son salut (Lc 1,28-29); Marie réagit en posant une question et l’ange lui fait connaître le projet divin (Lc 1,30-34); une nouvelle question de Marie motiva l’éclaircissement de la part de l’ange et celui-ci, le consentement de la part de Marie (Lc 1,35-38a). L’entrée en scène de l’ange (Lc 1,26a) et sa sortie (Lc 1,38b) ferment un épisode où l’envoyé de Dieu eut toujours l’initiative et Marie réagit en progression continue, en réfléchissant en silence (Lc 1,29), en posant ouvertement des questions (Lc 1,34) et en finissant avec le plus complet assentiment (Lc 1,38).
26 Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth,
27 à une jeune fille vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie.
28 L’ange entra chez elle et dit :
« Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi ».
29 À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
30 L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte,
Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
31 Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus.
32 Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;
33 il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »
34 Marie dit à l’ange :
« Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme? ».
35 L’ange lui répondit :
« L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu.
36 Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. 37 Car rien n’est impossible à Dieu. »
38 Marie dit alors :
« Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. »
Alors l’ange la quitta.
Trois fois le messager découvre à Marie le plan divin (Lc 1,26.30-33.35-38) et autant de fois elle réactionne, en se demandant, en demandant et en acceptant (Lc 1,29.34.38) 68. À la dernière explication de la proposition par Gabriel (Lc 1,35-37) Marie correspond avec une plus complète acceptation de la demande (Lc 1,39).
« À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation (Lc 1,29).
Gabriel (cf. Lc 1,19)69 ouvre le dialogue vocationnel avec Marie avec un « réjoui-toi » (Lc 1,28), que plus que salutation (cf. Mt 26,49; 27,29; 28,9) est une invitation à être joyeuse (cf. Lc 1,14; 2,10) 70 par un salut qui s’annonce (cf. Is 12,6; Sof 3,14-15; Zac 3,14-17; 9,9).
Avant de lui annoncer un enfant et le salut au peuple, lui est imposé le bonheur. Le motif, avoir trouvé grâce devant Dieu. « Pleine de grâce » est la part de la salutation évangélique plus surprenante et promettante. Le bonheur de l’accordée est le sentiment même de celle qui va connaître qu’elle a été élue par un Dieu qui est avec elle plutôt – et pour que – il soit en elle. « Le Seigneur est avec toi », qui peut être une simple salutation (Rut 2,4), exprime ici l’assistance active de Dieu à des personnes qui vont agir en son nom et sont ainsi appuyées dans l’engagement ; on leur assure la protection divine, parce qu’on leur va assigner une mission (cf. Éx 3,12; Ju 6,12.15-17. 71
La salutation de l’ange est aussi insolite comme la mission qu’elle va introduire. Avant de dévoiler à Marie ce que Dieu veut d’elle il lui a exprimé combien il l’aime: avant de lui donner la commande, il lui a découvert son élection. Gabriel parle de la grâce de Dieu qui la remplit, pas des mérites de Marie72; découvre ainsi un comportement surprenant, paradoxal même, d’un Dieu dont la bénévolence se heurte aux expectatives de ses fidèles.
Les mots, pas la vision, de l’ange (cf. Lc 1,12), troublent Marie (Lc 1,29); elle ne comprend pas le motif d’une si grande louange. Sa réaction est complexe, émotive (elle fut toute bouleversée) et rationnel («se demandait ») à la fois ; elle se trouble, mais elle médite. La bénévolence divine, inattendue, la fait penser. Un Dieu si gratifiant la surprend : en pressentant ce qu’on va lui demander – et celle-ci est la grâce que Dieu lui a fait – Marie a commencé à se préoccuper (cf. Gén 15,1; 26,24; 28,30; Jer 1,8). 73
Sa réaction, sans parallèle dans les récits d’annonces (cf. Jz 6,13), met en évidence la maturité de sa foi. Elle cherche le sens de ce qu’elle a écouté, elle affronte la nouvelle situation avec la plus grande réflexion, pondère les circonstances à la recherche d’une conclusion (cf. Lc 3,15). Il n’y a pas d’angoisse, mécontentement ou incrédulité. Elle ne comprend pas bien ce que lui a été dit ; elle le prend au sérieux. Stupéfaction muette et désir de comprendre signalent le début du discernement vocationnel.
«Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme?» (Lc 1,34)
À sa délibération répond l’ange en lui révélant ce que Dieu attend d’elle (Lc 1,30-33). Dieu veut initier un dialogue avec Marie qu’elle n’avait pas demandé ; elle ne l’aurait même pas pu imaginer. Avant de connaitre ce que Dieu dispose, Marie connait qu’elle dispose de sa bienveillance : « tu as trouvé grâce auprès de Dieu » (Lc 1,30; cf. Gén 6,8; 19,16; Ex 33,12).
Elle peut, donc, conter sur Dieu, sans savoir encore pour quoi Dieu conte sur elle. La grâce donnée précède la tâche à réaliser : concevoir, accoucher et donner le nom au fils de Dieu.
Le message de l’ange se centra sur le fils qui devrait naître de Marie. Dieu l’avait déjà pensé avant que la vierge puisse concevoir ; mais il n’exige rien qui aille contre sa conscience » 74. Marie réagit sobrement, sans enthousiasme ni doutes. Elle ne demande pas d’épreuves ni indague sur la possibilité (cf. Lc 1,18); elle se demande sur le mode dont il se réalisera la conception dans son état actuel : « comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme» ? (Lc 1,34; cf. Gén 4,1.25) 75. En restant vierge, elle ne croit pas viable la proposition d’être mère. Si elle se réalise, ce sera pure don. Elle prend l’annonce au sérieux, au moins pour mettre en question le mode de sa réalisation.
Avec sa demande, donc, Marie ne met pas en question le message reçu, ni refuse non plus la tâche assignée ; parce qu’elle l’assume, elle se pose des questions. Elle pense, et l’exprime en posant des questions, qu’elle ne peut pas la réaliser. Son impuissance confessée la rend « capable » d’accueillir Dieu. La maternité sera, donc, pure grâce : l’Esprit, puissance créatrice de Dieu, se chargera de la rendre réalité : « le fils de Marie est engendré par Dieu lui-même… Jésus reste toujours, dès lors, le fils de Marie, c’est-à-dire, un être humain”.76
«Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole» (Lc 1,38)
Mais elle pose toujours des questions pour mieux discerner ; et, en posant des questions, elle rend nécessaire une explication de plus. Même au milieu de la révélation, Marie continue à discerner, étant donné qu’elle ne réussit pas à comprendre le message de l’ange, qui s’est centré en définissant la personnalité de l’enfant (Lc 1,32) et en décrivant sa mission future (Lc 1,33).
Gabriel, allant au-delà de l’exigé, éclaire le mode et la conception du fils promit à Marie, en le déclarant fils de l’Altissime (Lc 1,35). Il confirme, en plus, l’extraordinaire de la naissance, en ajoutant comme confirmation la maternité d’Isabel (Lc 1,36), qui exemplifie le pouvoir omnipotent de Dieu (Lc 1,37; 18,27; cf. Gén 18,14; Jer 32,27; Zac 8,6). La question de Marie, qui n’avait pas demandé aucun signe, ne demandait pas d’appui pour croire au message. Dieu ne lui demande pas une foi aveugle. Et l’ange concède un signe qui ratifie il message : il proclame l’état de bon espoir d’Isabel.
Apparentées aussi par leur incapacité de procréer77, la maternité d’Isabel prouve, maintenant qu’elle est visible, la possibilité de la conception virginale, mais rien de plus. Pour qu’elle se réalise, il ne suffit l’omnipuissance de Dieu. Il faut le consentement de sa servante ; elle a le dernier mot. Si crue, la parole de Dieu devient créatrice.
La formule avec laquelle Marie donne son assentiment (« voici la servante du Seigneur » cf. Gén 30,34; Jos 2,21; Jz 11,10; Dan 14,9) révèle sa totale acceptation. Elle passe de dépendre de l’homme de sa vie à être au service de Dieu, qui en elle se fait homme. Son « que tout m’advienne » c’est un optatif, qui exprime un intense désir. La vierge donne son assentiment à tout ce qu’elle écouta e laisse que Dieu, faisant sa volonté, soit son Seigneur. Le projet divin se vérifie au moment même où il obtient le consentement de son élu. En effet, peu de jours après elle sera déjà proclamé publiquement «la mère de mon Seigneur » (Lc 1,43).
Malgré tout, il faut le noter, le récit ne se ferme pas en mentionnant la conception du fils.
Il finit en déclarant la disponibilité d’une vierge pour être mère. C’est avec cela sur quoi Dieu ne comptait pas encore. Lorsqu’il obtint son consentement, initia son plan. Jésus ne fut pas, comme un autre homme quelconque, fruit d’une rencontre d’amour humain, mais de la confiance de Dieu en une vierge (Lc 1,30-31) et de l’obéissance d’une servante à son Dieu (Lc 1,38).
Dans la chronique de la vocation de Marie Dieu nous dévoile comment il est. Il rappelle non pas tant ce que Marie avait fait78 lorsque Dieu l’appela à son service. Il laisse voir, surtout ce qu’il voudrait faire pour nous s’il nous avait trouvé aussi disponibles que Marie. Dieu a laissé à la portée de ses serviteurs de le concevoir. Et il invite ceux qu’il veut à qu’ils risquent et l’essayent. En repassant la vocation de Marie, nous pourrions nous sentir invités par ce même Dieu à lui donner un coup de main, en lui facilitant de nouveau son entrée dans le monde. Ou est-ce que notre monde n’a pas besoin de Dieu ? Marie le réussit en écoutant tout à fait Dieu, mais sans laisser d’essayer de le comprendre.
L’annonce de la naissance de Jésus coïncida avec l’invitation à devenir mère de Dieu. Le récit découvre, donc, des traits essentiels de toute vocation chrétienne. Il révèle que Dieu, lorsqu’il propose à quelqu’un une mission spéciale, en réalité, il est en train de programmer de sauver son peuple. Parce qu’il a un projet de salut, il le confie à qui il veut. Comme celle de Marie, toute vocation est, basiquement, un dialogue dans lequel Dieu se révèle, en déclarant son projet et en faisant connaitre à celui qu’il appelle qu’il compte su lui. Tout ce que l’ange dit à Marie, plus que des affirmations étonnantes sur sa personne, qui le sont, il manifeste la décision que Dieu a pris de sauver son peuple.
Celle de Marie, comme toute autre vocation authentique, commença et se réalisa en dialoguant79. Et elle culmine lorsque – et si – si elle finit en obéissant. Marie n’initia pas la conversation, mais elle ne la refusa pas non plus. En réagissant toujours aux paroles de Gabriel, d’abord, elle se demanda troublée (Lc 1,29); après, elle confessa qu’elle était incapable d’assumer la proposition (Lc 1,34); pour finir, en se déclarant au service d’un Dieu tout puissant Lc 1,37-38). Au cœur même de son dialogue vocationnel Marie chemina depuis l’étonnement sans paroles jusqu’à l’acceptation sans condition, en passant par la reconnaissance de sa propre inaptitude. Sans écoute attentive et discernement continu, la vierge n’aurait pas pu arriver à devenir mère…, ni Dieu à avoir le fils projeté.
Avant de se savoir appelée par Dieu, Marie se sut accordée d’une grâce. Avant qu’elle ait opté pour Dieu, elle dut accepter que Dieu eût opté pour elle. Dieu appelle parce qu’il nous aime ou il nous appelle pour nous aimer’ ? Si la grâce précède la tâche, ne sera-t-il pas certain que toute vocation authentique reconnait que le vouloir divin précède ses exigences ? Est-elle, donc, légitime la crainte ? (Lc 1,30). D’où surgissent et se nourrissent nos craintes dans notre expérience vocationnelle ? Pourquoi ne réussit-il pas à nous enthousiasmer que Dieu ait compté sur nous et que nous comptions autant pour lui ? Qui se sait appelé, se sait accordé de grâce ; comme Marie, trouver sa propre vocation c’est avoir trouvé la grâce de Dieu (cf. Lc 1,30).
Dieu n’appelle pour des choses insignifiantes. Il appela Marie pour l’impossible : devenir mère en restant vierge et accoucher son premier-né qui était, en réalité, le fils unique de Dieu. Que devrait-on admirer de plus, le besoin de Dieu pour trouver une personne qui se fie de lui, ou l’acceptation immédiate que Marie fit du plan de Dieu ?
Dieu a proposé à Marie une maternité, qui ne carrait pas avec ses intentions, étant déjà fiancée (Lc 1,27), et qui n’était pas dans ses possibilités, une fois qu’elle était encore vierge (Lc 1,34). Le fils qui lui fut annoncé ne serait pas, en réalité, son fils (« fils du Dieu Altissime » : Lc 1,32.35.76) ni pour elle (« messie d’Israël » Lc 1,32-33). Le premier étonné par les plans de Dieu c’est celui qui le premier les écoute. Peut un appelé vivre sa vocation sans que Dieu l’étonne, sans qu’il le corrige au moins un petit peu ? Un Dieu qui n’est pas surprenant est un Dieu qui n’a pas fait connaitre son dessin salvifique.
Accepté son dessin et Dieu déjà présent dans le sein de Marie, le messager de Dieu sort de sa présence (Lc 1,28). Lorsque Dieu trouve des serviteurs, il n’a pas besoin de messagers. Lorsque le projet divin trouve accueil, l’impossible se réalise : la vierge servante commence à être mère de son Seigneur.80 La raison de la béatitude de Marie (Lc 1,45) n’est, donc, pas dans la maternité divine, mais dans sa capacité d’accueillir Dieu : ce ne fut pas sa prouesse que de l’accoucher, mais d’assumer son incompréhensible vouloir. Même si un signe lui fut donnée (Lc 1,36-37), Marie était « une croyante à qui la parole de Dieu suffit »81. Pour s’entendre avec Dieu il faut l’accueillir : foi, qui est obéissance de servante, c’est la forme d’assumer la vocation à laquelle nous avons été appelés. Et en cela enracine le bonheur (cf. Lc 1,45).
Comme aux jours de Marie, Dieu cherche toujours qui lui prête foi et entrailles. Le Dieu de Marie n’a pas d’autre mode de sauver le monde que de s’incarner. Hier comme aujourd’hui. Le croyant, comme Marie, a seulement besoin de foi pour concevoir son Dieu. Pour lui donner chair et foyer, pour, en le faisant humain, l’accoucher et le donner au monde il n’y a pas besoin de miracle plus grand qu’une obéissance de serviteurs. Seulement en nous mettant totalement à son service, nous le ferons notre familier : avec le Dieu de Marie, le serviteur est le patron ; le serviteur, le seigneur ; l’esclave, la mère.
“Chaque jeune peut découvrir dans la vie de Marie le style d’écoute, le courage de la foi, la profondeur du discernement et le dévouement au service (cf. Lc 1,39-45) […]. Dans ses yeux chaque jeune peut redécouvrir la beauté du discernement, dans son cœur il peut sentir la tendresse de l’intimité et le courage du témoignage et de la mission”. 82
La présence et le protagonisme de Marie sont plus évidents en Lc 2 qu’en Lc 1. Les faits que l’on rappelle, centrés sur l’enfance et adolescence de Jésus, oublient entièrement Jean Baptiste et ses parents, centrés comme ils sont sur la famille de Jésus. Et ils sont moins prodigieux ; maintenant on note avec précision, et à plusieurs reprises, que la vie de la famille du fils de Dieu reste soumise à la loi, soit des hommes (Lc 2,1-5), soit de Dieu (Lc 2,22-24.39.41-42). Le salut de Dieu entre en plein dans l’histoire mondial. Naissance, enfance et adolescence de Jésus signalent les bornes d’un chemin de discernement, que Maria dut parcourir pour rester croyante. Dieu lui dira petit à petit ce qu’il attend d’elle de façon de plus en plus faible et indirecte, mais toujours beaucoup plus exigeante.
La relation avec Dieu, initiée après l’acceptation de sa vocation, ne finirait, comme l’on si attendrait, en accouchant le fils de Dieu. Son consentement donné – et son propre corp – une seul fois, la servante de Dieu ne réussira plus jamais à se voir libre de son Seigneur. Marie, qui s’était déclarée prête seulement à faire la gestation du fils de Dieu, découvrira petit à petit, et sans beaucoup de lumière, de nouvelles tâches et des peines plus grandes.
Lucas raconte la naissance de Jésus avec “une concision, simplicité et sobriété, qui reste en sensible contraste avec la signification du fait » 83(Lc 2,4-7). Le contraste se rend ainsi plus évident : à Bethleem (cf. Mt 2,1-6) il n’y a pas de voisins ni parents qui se réjouissent avec la mère (cf. Lc 1,58) et à la cité de David (Miq 5,1) il n’y a pas de place pour un nouveau-né, même s’il est proclamé comme « le Sauveur, le Messie, le Seigneur » (Lc 2,11). Plus que sur le fait même, le narrateur se centre sur les circonstances qui l’entourèrent, soit le cens impérial qui occasionne le voyage à Bethleem (Lc 2,1-3) 84, soit la présence des bergers qui surveillaient cette nuit-là (Lc 2,8-20). Elle ne peut pas être plus nette la disparité entre le triomphal annonce des anges (Lc 2,9-14) et les circonstances de la naissance (Lc 2,6-7). Pour le narrateur, c’est décisif que « Marie ait eu une véritable grossesse et Jésus, une vrai naissance”85.
La structure du récit est simple. À la naissance à Bethleem (Lc 2,1-7; cf. Mt 2,1) se suit la proclamation angélique aux bergers (Lc 2,8-14), qui constatent ce qui est arrivé et témoignent sa portée (Lc 2,15-20). Le signe qui leur fut donné enlace les trois scènes (Lc 2,7.12.16: un nouveau-né, «emmailloté et couché dans une mangeoire»). Au centre du récit est le message angélique adressé aux bergers (Lc 2,10-12), le troisième dans le récif de Lucas de l’enfance de Jésus (cf. Lc 1,11-20.28-37). Que le nouveau-né, couché dans une mangeoire, soit identifié comme «le Sauveur, le Messie, le Seigneur» (Lc 2,11) dépasse tout l’imaginable.86
01 En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre. – 02 ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. 03 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. 04 Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. 05 Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. 06 Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. 07 Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. 08 Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. 09 L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. 10 Alors l’ange leur dit :
« Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. 12 Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
13 Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : 14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime.»
15 Lorsque les anges eurent quitté les bergers pour le ciel, ceux-ci se disaient entre eux :
« Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé,
l’événement que le Seigneur nous a fait connaître. »
16 Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. 17 Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. 18 Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers. 19 Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. 20 Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé.
Le chroniqueur seulement s’attarde en narrant la naissance de Jésus. Il annote avec une surprenante neutralité les détails (Lc 2,6-7), après avoir justifié avec une plus grande amplitude le déplacement à Bethleem de Marie en état (Lc 2,1-5) et allongeant notablement son récit avec l’annonce de sa naissance à des bergers (Lc 2,8-20). On raconte le fait d’une naissance (Lc 2,6-7), qui, comme signe qui donnera un sens à l’histoire humaine Lc 2,11-12), est vérifié par des gens simples, des bergers. Narrativement la manifestation angélique sert à donner comme accomplie la promesse divine faite à Marie (cf. Lc 2,11-13) 87. Le messager de Dieu l’annonce, les bergers le regardent et le proclament. Toutefois la mère fut la directe destinataire de l’annonce angélique. Marie doit écouter «la bonne nouvelle, qui sera de grande joie pour tout le peuple » (Lc 2,10) de la bouche d’inconnus qui, par leur travail passaient la nuit en veille et, pour cela, ils n’étaient pas bien vus.88
Nouveau-né, le fils de Marie n’a pas trouvé de toit même pas dans une auberge (Lc 2,7).
Il est accueilli, mais pas comme le roi annoncé (Lc 1,32-33), non plus comme enfant bien né (Lc 2,7). Lorsque, et avec raison, pourrait se vanter d’avoir accompli la mission, Marie n’écoute pas des voix d’anges, elle reçoit information des bergers, des gens considérés dans son temps pas dignes de confiance (Bill 2,113-114). Ce sont les bergers qui furent évangélisés par des anges, qui, à leur tour, ‘évangéliseront’ les parents de Jésus. Peut-il étonner qu’elle doive garder dans son cœur, pour le méditer, tout ce qui succède devant ses yeux ? (cf. Lc 8,4-15).89
« Marie, de son coté, gardait tout ça, en le méditant dans son cœur » (Lc 2,19)
Curieusement, la mère de Jésus n’est plus la protagoniste dans la chronique de la naissance. Marie apparait seulement au début (Lc 2,5-7) et à la fin (Lc 2,16-19). En encadrant la naissance dans le voyage à Bethleem90, Marie doit accoucher dans la plus complète solitude, loin des siens et à l’écart de l’habituel joie qu’une nouvelle vie cause (cf. Lc 1,57-58). Mais encore plus, si avant les annonces évangéliques s’étaient adressé à qui recevait la mission divine (Zacarie: Lc 1,11-20; Marie: Lc 1,28-33), maintenant ce sont des inconnus les destinataires du message d’un envoyé du Seigneur sans nom (Lc 2,10; cf. 1,11.26).
Évangélisés, les bergers cherchent quelque chose de méconnu, suivent une indication précise, un signe : un bébé sur une étable (Lc 2,12) 91. Ils ne sont plus de simples auditeurs et, sans dilation e par sa prompte obéissance, deviennent des témoins oculaires : seulement des gens simples peuvent identifier un enfant emmitouflé dans une étable comme le Sauver (Lc 2,11; cf. 2,30; At 5,31; 13,23). Confirmée sa véracité, ils se convertissent en évangélisateurs, les premiers (Lc 2,17.10), des parents de Jésus.
Après avoir accouché, Marie ne reçut plus de Gabriel aucun message. Ni comprendra ce que lui transmettent les bergers, qui représentent ces pauvres qui serons les destinataires prioritaires de la mission évangélisatrice de Jésus (cf. Lc 4,18). Toutefois, différemment de tous, qui s’émerveillent (Lc 2,18), elle maintient une attitude de permanente quête de sens (Lc 2,19). Plus que méditer ou accumuler ce qui arrive, le recherche et l’interprète. Elle ne refuse pas ce qu’elle ne comprend pas. Supporte ce qu’elle n’arrive pas à comprendre. Au lieu de rester simplement surprise par son Dieu, elle essaie d’entrer dans le mystère, en activant l’intelligence du cœur. 92
Avant de concevoir le fils de Dieu, Dieu lui avait envoyer un messager. Après l’émerveillement, accomplie la mission, lui sont envoyés des hommes. L’évangélisée par Gabriel pour être mère, est évangélisée par des bergers maintenant, après l’avoir été. À une plus grande familiarité avec Dieu, moins de proximité de lui elle expérimente. La mère de Jésus devra garder soigneusement les événements, ce qu’elle voit et écoute, et les évaluer attentivement : « Marie n’interprète pas avec sa raison (noūs), mais avec sa volonté et affectivité : dans son cœur”. 93
Il semble que, ayant accouché Dieu, Marie devrait lui faire de mère sans beaucoup de lumières : accoucher Dieu a obscurci sa vie. C’est un pas de plus dans le processus personnel de discernement : en Lc 1,29 elle se demandait ; en Lc 1,34 elle interrogea ; maintenant ici, en Lc 2,19, elle pénétra, en le faisant tourner dans sa tête; 94 finalement, en Lc 2,51 elle le gardera dans sa mémoire.
En présentant son premier-né à Dieu (Lc 2,22-40)
De l’enfance de Jésus, proprement dite, Lucas choisit seulement trois évènements significatifs : sa circoncision et imposition du nom (Lc 2,21; cf. 1,5995; Gén 17,10-13) 96, sa présentation (Lc 2,22-40) et sa perte et sa rencontre, toutes les deux dans le temple (Lc 2,41-50). Sa chronique finit avec un sommaire qui insiste de nouveau dans l’attitude contemplative de Marie, en accompagnant la croissance de Jésus (Lc 2,51-52).
La présentation de l’enfant au temple quand il avait huit jours n’était pas un précepte (Lv 12,3), comme la visite annuelle à paques avant la majorité. Mais Lucas insistera en que, en suivant la normative légal (Lc 2,22.23.24.27), c’est comment Marie devra discerner la volonté de Dieu dont elle s’est déclarée esclave. Marie doit apprendre à regarder et à toucher, comme Siméon (cf. Lc 2,30.28), le salut de Dieu à travers le fidèle accomplissement de la loi. Lucas, en plus, s’intéresse à que ce soit à Jérusalem (cf. Lc 9,51.53; 13,22.23; 17,11; 18,31; 19,11; 24,47.49.52; Hch 1,8), où l’on reconnaisse l’enfant le «Sauveur», lumière des nations et gloire d’Israël (Lc 2,30) et que, déjà adolescent, Jésus se proclame fils de Dieu (Lc 2,49).
La présentation de Jésus au temple a trois scènes, encarrées par une introduction (Lc 2,21) et une conclusion narrative (Lc 2,39-40). Les extrêmes tous les deux se rapportent à la vie de l’enfant et la présentent de façon tout à fait normale. Ce qui est narré entre eux découvre le plan de Dieu, que seulement captent les yeux de ceux qui espèrent voir le salut de Dieu et le cœur de qui a son Esprit.
La première scène (Lc 2,22-24) situe l’action au temple et y justifie la présence de la famille de Jésus, en préparant la rencontre avec les deux vieillards. Le narrateur met plus en relief l’imposition du nom que la circoncision ; les parents lui donnent le nom indiqué par l’ange. La deuxième (Lc 2,25-35) présente Siméon et son oration prophétique, en réalité un hymne à Dieux (Lc 2,29-32) et une prophétie de Marie (Lc 2,34-35). Dans la troisième (Lc 2,36-38), la vieille Anne, qui vit devant Dieu et pour lui, apparait louant Dieu et proclamant Jésus comme l’attendu libérateur.
21 Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception. 22 Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, 23 selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. 24 Ils venaient aussi offrir le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.
25 Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui.26 Il avait reçu de l’Esprit Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ, le Messie du Seigneur.27 Sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple. Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, 28 Syméon reçut l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
29 « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. 30 Car mes yeux ont vu le salut 31 que tu préparais à la face des peuples : 32 lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. »
33 Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui. 34 Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère :
« Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction 35 – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »
36 Il y avait aussi une femme prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’Aser. Elle était très avancée en âge ; après sept ans de mariage, 37 demeurée veuve, elle était arrivée à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. 38 Survenant à cette heure même, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
39 Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth. 40 L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
L’accomplissement de la loi de Moïses conduit Marie à Jérusalem, deux fois. La première, lorsque Jésus était tout petit enfant de quelques jours (Lc 2,22.39). La deuxième, peu avant d’inaugurer sa majorité (Lc 2,41-42). Ces allées à Jérusalem marquent l’enfance et l’adolescence de Jésus, temps pour murir comme homme sous l’empire de la loi de Dieu. Grandit son enfant comme fils de Dieu (Lc 2,40.52), pendant que sa mère vit soumise à la loi de Dieu (Lc 2,22.23.24.39.41.42; cf. Lev 12,6-8; Ex 13,1.13; Núm 18,15-16). L’obéissance à la volonté de Dieu n’exempte pas Marie du ponctuel accomplissement de sa volonté écrite. Mère, pour être servante, Marie élève avec ses actes son fils dans l’obéissance à la loi de Dieu (Lc 2,39).97
«Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui» (Lc 2,33)
Quarante jours après sa naissance, la mère devait se purifier, n’étant pas son impureté morale, mais rituel (Lev 12,8) et l’enfant consacré à Dieu, en accomplissement de la loi, et pleinement intégré dans le peuple de Dieu (Lc 2,22-24; Núm 18,15). Au temple de Jérusalem les attendait, de nouveau, le bon Dieu…, et non pas de très bonnes nouvelles.
Un croyant juste, qui avait vieilli sans perdre l’espoir de voir le « Messie Seigneur » (Lc 2,26), est maintenant le porte-parole de Dieu. Son Esprit est en lui (Lc 2,25.26.27). Le récit s’attarde en le décrivant : il vit en attendant la consolation de son peuple (Lc 2,38; cf. 23,50-51); il a l’Esprit de Dieu, qui le conduit au temple le jour même où l’obéissance à la loi y avait conduit les parents de Jésus. Il n’y a, donc, pas de chance ni de malheur, mais gouvernement divin de l’histoire humaine (cf. Lc 4,1.14-18), bien que de façon différenciée : au temple va Syméon et il voit le «Sauveur» (Lc 2,30); ses parents, par contre, pour accomplir la loi de Dieu, «selon la loi de Moïses» (Lc 2,22).
Ayant l’enfant Jésus dans ses bras n’est pas difficile pour le vieillard Syméon, « homme juste et religieux » (Lc 2,25; cf. Hch 2,5; 8,2; 22,12), louer un Dieu qui lui a donné plus de consolation que celle qu’il lui avait promis. Plus que « voir le Messie » promis (Lc 2,26), il le touche, en le tenant «entre ses bras» (Lc 2,28), le Sauver attendu, un enfant tout petit. Le salut palpé est plus grand que celui seulement aperçu ; celui offert, meilleur que celui attendu. Toutefois le salut, entrevu maintenant au temple (Lc 2,29-32), a peu à voir – si c’est qu’il a quelque chose – avec celui annoncé par l’ange à Nazareth (Lc 1,30-33), ou par les bergers à Bethleem (Lc 2,10-14).
Et c’est que les prévisions sur l’enfant empirent notablement. Après la louange de Dieu que tant émerveilla les parents de Jésus (Lc 2,33), vient la sombre prophétie sur le fils et sa mère. « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël ; il sera un signe de contradiction » (Lc 2,34). Jésus va diviser son peuple, mettant en cause sa sécurité ; devant lui il ne sera pas possible rester impartial. Sans solution de continuité Syméon ajoute ce que cela implique pour sa mère. « Et toi, ton âme sera traversée d’un glaive » (Lc 2,35; cf. Ez 14,17). La destinée du fils éclabousse la mère. Marie aura son cœur brisé, devant le refus que son fils souffrira : à la grande division produite dans le monde s’ajoute un grand chagrin dans son cœur.98
Syméon annonce que Jésus est devenu obstacle et contradiction en Israël (cf. At 28,26-28); devant lui il ne va pas être possible la neutralité ni l’indifférence. Ce n’est pas ce que Israël attendait, ni ce qu’on indiqua à Marie auparavant (cf. Lc 1,31-33). Ne se libère pas la mère de son fils ni de son sombre avenir, être contradiction et scandale pour le peuple (cf. Is 8,14-15). Comment, et avec son fils, sera Marie au centre du refus ou accueil que Israël dispensera à Jésus.
L’image du glaive qui divise l’âme (cf. Job 26,25) fait allusion à une douleur constante, à un déchirement intérieur. Le refus que son fils va souffrir cassera son âme. La mère de Jésus vivra son existence profondément blessée. Sa familiarité avec Dieu ne lui évitera une vie délaissée. Une épée dans le cœur est le salaire du service de Dieu bien accompli ! Marie se perd comme femme, pour ne pas perdre, comme mère, l’enfant, ni comme croyante, Dieu. Un Dieu bien servi impose de plus grandes servitudes avec de plus petits appuis. Ou bien pourrait-il être d’autre façon ?
Accomplie la loi toute entière, la famille de Jésus revient en Galilée (Lc 2,40; cf. Mt 2,23), “finissant ainsi l’histoire de l’enfance de Jésus, en sens strict ».99 Comme déjà le Baptiste (cf. Lc 1,80), Jésus ne laisse pas de grandir à Nazareth en tant qu’homme en famille et devant Dieu comme fils. Avec autant de brièveté que de sagesse son résumés douze ans de l’enfance de Jésus. Maturité humaine et totalité de grâce deviennent compatibles dans le foyer, dans la vie de chaque jour. Et pour autant qu’il grandisse, le fils ressemble toujours davantage à sa mère (Lc 1,28.30) dans la possession de la grâce de Dieu (Lc 2,40).
Adolescent, Jésus se perd comme fils à Marie, qui le retrouve comme Fils de Dieu (Lc 2,41-52) Un pèlerinage au temple, lorsque Jésus va atteindre sa majorité légale, finit de façon logique le récit de son enfance (Lc 2,41-50; cf. Éx 23,14-17; Dt 16,16). Toutefois l’épisode, encarré dans deux sommaires (Lc 2,40.52), ne se centre pas ni dans le voyage d’allée à Jérusalem ni dans la célébration de Pâques, mais en tout ce qui succède à la suite : la perte de Jésus au temple (Lc 2,41-52). Lucas, le seul évangéliste qui rappelle cet incident, conduit à sa finale surprenante un récit qui commença avec un enfant dans les bras de Marie(Lc 2,12.16): le nouveau-né (Lc 2,17.27-40), fils de Marie (Lc 2,43), finit par se déclarer soi-même fils de Dieu (Lc 2,49)!
Tel que dans l’épisode précédent (Lc 2,21-39), le temple est l’endroit central de la manifestation du mystère de Jésus. Et il se présente structuré en suivant le même modèle : la montée à Jérusalem (Lc 2,42; cf. 2,22), révélation de Jésus (Lc 2,46-47; cf. 2,30-31), commentaire sur la mère (Lc 2,48; cf. 2,39), retour à Nazareth Lc 2,51; cf. 2,39). Le centre du récit se trouve dans la double question de Jésus à sa mère (Lc 2,48), qui n’arrive pas à comprendre la raison de tout ce qui succède (Lc 2,50), de l’impérieux besoin de que ça arrive (Lc 2,49).
41 Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.42 Quand il eut douze ans, ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.43 À la fin de la fête, comme ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. 44 Pensant qu’il était dans le convoi des pèlerins, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.45 Ne le trouvant pas, ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.46 C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions,
47 et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.48 En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit :
« Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
49 Il leur dit : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. 51 Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. 52 Quant à Jésus, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.
Publiquement, au temple de Jérusalem, Jésus laisse d’être fils de Marie et Joseph pour se déclarer fils de Dieu. C’est la première parole – ce sera aussi dernière, cf. Lc 24,49 – que Jésus, à peine arrivé à la majorité, prononce au temple, à Pâques. Tel que, avec sa dernière affirmation, il se déclare fils de Dieu, en pleine conscience de sa mission : il ne réclame pas seulement une intime relation avec Dieu, il proclame aussi son personnel compromis avec le projet du Père ; et il le fait à peine lui avait mentionné sa mère l’angoisse de Joseph, son père (Lc 2,48). Ce que l’ange annonça (Lc 2,1-20) et Syméon vit (Lc 2,21-22), est maintenant confirmé par Jésus lui-même, encore adolescent (Lc 2,41-51). Sa sagesse humaine peut encore croitre (Lc 2,52), mais il sait déjà le fondamental, que Dieu est son Père (Lc 2,49).
« Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements » (Lc 2,50-52).
En tant que juifs pieux, les parents de Jésus avaient l’habitude d’aller à Jérusalem à paques. Le fait d’emmener leur fils signale leur piété personnelle et une certaine préoccupation éducative.100 L’absence de Jésus pendant le retour passe, dans un premier moment, inaperçue (Lc 2,44). On n’apporte pas maintenant la raison de la permanence de Jésus au temple, quoiqu’elle soit, après déductible de sa réponse (Lc 2,49b: «Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »). La première journée n’est pas encore finie sans que ses parents se rendent compte de son absence. Trois journées d’angoisseuse recherche (Lc 2,48) réussirent à le retrouver. Le retrouver au temple, entre les maîtres, « frappés d’étonnement » (Lc 2, 47), laisse stupéfaits et encore plus confus, ses parents.
Mais le fils adolescent ne s’était pas perdu, il opta pour rester à la maison de son Père (cf. Jn 2,17), mieux, il devait le faire, même si cela aurait apporté de la douleur à ses parents. La réponse de Jésus fut moins compréhensible que son comportement. Emphatiquement, avec deux questions met en question la posture de la mère ; lui fait comprendre en demandant, il ne s’oppose pas en affirmant. Ni la recherche, ni l’angoisse, se justifient, parce qu’il ne s’était pas égaré…, ni déjà il leur appartenait ! Ce ne fut pas par casualité, mais par devoir qu’il se sépara d’eux. Jésus ne fit pas ce qu’il voulut, mais ce que Dieu voulait. Cela se doit à Dieu le Père. Et il ne se perd quand il s’occupe de ses affaires. Se livrer au Père et à ses intérêts libère Jésus de la patriote puissance de sa famille, est prioritaire sur les rapports les plus sacrés (Lc 2,49). Ses parents devraient comprendre que sa filiation divine lui imposa de se délier d’eux et de ses expectatives (cf. Mt 16,23; Jn 8,29; 9,4; 14,31).
Rien, donc, d’extraordinaire que les angoissés parents soit restés déconcertés quand ils le trouvèrent au temple, « assis au milieu des maîtres » (Lc 2,48), et ils n’ont rien compris de tout ce que leur enfant leur a dit (Lc 2,50); ils ont dû se sentir déçus (cf. Gén 12,8; 20,9; 29,25; Éx 14,11; Jue 15,11). Ni la maternité virginale, ni l’étroite familiarité journalière, firent plus accessible à Marie la personne et la destinée de son fils. Comme tout autre croyant, Marie passa par l’épisode, qui étant commun n’est pas moins douloureux, que Jésus se lui était égaré. Après trois jours d’angoisseuse recherche, elle crut l’avoir récupéré…, pour devoir accepter, tout de suite, l’avoir perdu, cette foi oui, définitivement (Lc 2,48-49).
Encore adolescent, il proclama Dieu son Père (Lc 2,49), tel qu’il le fera de nouveau avant de mourir (Lc 23,46). Et ce ne fut pas pire pour Marie qu’elle ait dû voir en son fils le fils de Dieu, mais que, dès lors, elle devrait convivre avec un fils qui se savait, et ainsi se voulait, de Dieu (Lc 2,49). Sans le raconter, Lucas nous fait entendre que Marie vécut cette situation pendant des années, depuis l’adolescence de Jésus jusqu’au début de son ministère publique (cf. Lc 3,23). La mère, pour continuer à l’être (cf. Lc 8,19-21; 11,27-28), a dû se faire plus croyante,101 thésaurisant «dans son cœur tous ces évènements» (Lc 2,51) qu’elle ne comprenait pas avec l’esprit. Est-il casuel que celle-ci soit la dernière réaction de Marie dans le récit de l’enfance de Jésus ?
La filiation divine, revendiquée si tôt par Jésus, ne l’a pas exempté de vivre soumis à ses parents la plupart de sa vie (cf. Lc 4,22; Mc 6,3; Mt 13,55). Il retourne avec ses parents à Nazareth et vit sous sa patriote puissance. Un tel retour, après une déclaration si ronde de son identité, rend encore plus extraordinaire l’ordinaire : la soumission à des parents qui, si on regarde bien, ne sont pas son Père. À Marie ne passe pas inaperçu ce qui arrive : son fils murit en tant qu’homme et fils de Dieu, simultanément. Et quoiqu’elle ne comprenne pas, elle ne l’oublie pas. Dans son cœur elle garde le succédé : ce qui arrive ne lui passe pas au large, sans incidences, sans lui laisser des traces (Lc 2,51b). 102
Grandit devant elle son fils, en tant qu’homme. À son coté doit-elle grandir en tant que croyante. Vivre ensemble avec Dieu est la façon mariale de ne pas le perdre (Lc 2,19; cf. 8,19-21; 11,27-28). Pendant ce temps, Jésus continue à grandir en sagesse (Lc 2,52), maturité et grâce devant Dieu et devant les hommes. Marie accompagne, toujours mère, la croissance de son fils avec la croissance de sa foi. Dans le long silence de Nazareth se fait homme Dieu et au sein d’une famille apprend à être homme. Tous les deux processus arrivent sous le regard silencieux et contemplatif de Marie, la mère de Jésus.
Marie a dû se sentir quelque peu surprise, sinon gênée avec son Dieu. Tout simplement on lui avait proposé d’engendrer le fils de Dieu ; elle uniquement consentit à cela. C’est pourquoi elle pouvait bien retourner à son ancien projet de vie (Lc 1,28: «accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph» ) une fois réalisé celui de Dieu (Lc 1,31: «tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus»). Ce ne fut pas ainsi. Elle devra initier une aventure avec Dieu là où elle a pu croire l’avoir finie.
Dieu ne lâche pas avec facilité ses meilleurs serviteurs. Qui lui promet obéissance est “perdu”.
Une nouvelle étape de foi, ouverte et soutenue par un discernement continu, s’ouvre lorsque Marie, étrennée sa maternité à Bethleem, doit écouter de la bouche de méconnus le sens que Dieu donne à la naissance de son fils. Les bergers, au milieu de gens simples et marginalisés sont les élus de Dieu pour recevoir en prémices l’évangile… et évangéliser, après, la mère de Jésus ; ils sont la “personnification d’une attitude de spontanée crédulité” avant le message qui leur vient d’être transmis.103 Seulement les gens simples peuvent identifier tout un Dieu dans l’enfant qui repose sur une mangeoire sans perdre la foi.
Pour ne pas se scandaliser d’un Dieu si insignifiant ils deviennent des évangélisateurs de Marie. Et la mère de Dieu réagit en se laissant évangéliser par ceux que Dieu élut et ceux qu’il envoya (Lc 1,12.15-16). Différemment des pasteurs, qui s’en vont après avoir loué Dieu, et des gens qui sont émerveillés de ce qu’on leur a raconté, Marie essaye d’atteindre le sens le plus profond de ce qu’elle a vécu et de ce qu’on lui a raconté. Et sans laisser de rechercher personnellement tout ce que Dieu lui dit dans ce qui arrive, elle s’engage à voir les choses avec le cœur. Elle y garde ce qui succède et ne comprend pas, là où personne ne peut entrer, mais seulement Dieu (cf. Mt 6,6). Ce n’est pas pour comprendre avec l’esprit, mais pour contenir dans le cœur comme Marie discernait, contemplant, c’est-à- dire, elle “comprend et expérimente dans sa chair ce qu’elle croit”.104
Le Dieu qu’on ne comprend pas peut devenir insignifiant et ‘inservible’, toujours qu’on n’a pas le courage de le maintenir comme objet de contemplation. Tout regarder avec tendresse et le regarder avec attention c’est la méthode mariale de rester avec le Dieu qui, pour se nous rendre quelque chose de petit ou trop normal, nous n’arrivons pas à comprendre. Nous pourrons, peut-être, comme Marie donner du corps à Dieu. Toutefois, au moins, nous pourrions oser le regarder et l’adorer avec le cœur : c’est là qui a place un Dieu si tendre comme incompréhensible.
Accomplis les jours de purification, les parents de Jésus présentèrent leur premier-né à Dieu au temple en obéissance à la loi (Lc 2,22). En faisant ça Marie a bien pu donner pour accomplie la mission qu’elle avait acceptée, de donner un fils à Dieu (Lc 1,31.35). Elle a dû apprendre que difficilement échappe à Dieu celui qui un jour lui a ajouté foi. Au temple l’attendaient ceux qui, au nom de Dieu, lui dévoileraient le futur de son fils et le sien à elle. C’est surprenant, si ce n’est pas de l’incompréhension, que Dieu fasse connaitre de nouveau à Marie son avenir à travers deux personnes inconnues. C’est un ange qui lui annonça qu’elle donnerait vie au fils de Dieu. (Lc 1,31-32). Que sa vie serait traversée de douleur le lui ont dit des étrangers (Lc 2,34-35).
À Jérusalem, et pendant le pèlerinage de Paques (Lc 2,41-42), s’égara à Marie son fils adolescent. La familiarité avec Jésus lui devenait de plus en plus pénible, moins tranquille… Qui a dit que la familiarité avec Dieu devra devenir agréable et sans sursauts ? C’est consolant que Marie ait passé par cette expérience, si habituelle en nous, de perdre Dieu 105. Un Dieu qui peut se nous égarer, ne méritera pas de plus grandes attentions ? Un Dieu que nous pouvons perdre, et au Temple, ne nous obligera-t-il pas à mieux nous en occuper ? Passer par l’expérience de le perdre ne doit pas être un moment négatif et moins encore traumatique, si nous rendons compte que cela a été une expérience mariale. Ou est-ce que par hasard n’est-t-il pas consolant que de se savoir compagnon de la mère de Dieu dans ces moments où nous ne savons pas où Dieu s’est égaré ?
Mais s’il nous solage de savoir que Marie a aussi perdu Jésus un jour, il devrait nous inspirer encore plus sa fébrile recherche jusqu’à le trouver. Elle ne s’est pas contentée de le perdre et de regretter son absence. Elle ne s’est pas excusée qu’elle n’était pas la responsable. Elle se mit immédiatement à sa recherche entre ses familiers et amis et le retrouva – pourrait-il être différemment ? – au temple, en train de parler de Dieu. Sommes-nous ainsi industrieux, lorsque nous perdons Dieu ? Est-ce que nous supportons son absence de nos vies, seulement parce qu’il nous semble qu’il n’aurait dû nous abandonner ou qu’il n’est pas assez juste en se cachant de nous ? Où est-ce nous le cherchons ?
La trouvaille de Jésus ne fut pas une finale heureuse pour Marie106. La réponse de Jésus à la plainte de sa mère (Lc 2, 48 : « pourquoi nous as-tu fait cela ?») fut, au moins, déconsidérée (Lc 2,49: «pourquoi vous m’avez cherché?». Marie n’a pas vu respectée sa douleur, ni valorisée son angoisse. Et elle n’a pas compris son fils, car elle ne l’a pas récupéré totalement, quand elle l’a retrouvé ; elle a commencé à le perdre quand il se croyait fils de Dieu. Mais elle l’a accepté comme il voulait être, avant tout et devant tous, le fils de Dieu. C’était son devoir inévitable, son destin maintenant assumé (Lc 2,49: deī). Elle a dû accompagner la croissance de son fils et son auto-conscience divine avec la croissance de sa foi personnelle.107 Est-ce qu’il y a une autre méthode d’accompagner Dieu dans la vie ? Peut-on convivre avec Dieu à la maison sans foi totale au cœur ?
Marie nous rappelle que Dieu peut toujours nous demander de plus de combien nous lui avons déjà donné. Le devoir accompli n’exempte pas de l’obéissance à venir. Être mère de Dieu ne l’a pas rendue plus heureuse de ce qu’elle était avant, mais l’a maintenue plus prêt de son fils. Il sera motif d’embarras et elle mère douloureuse. Dieu ne lâche personne qui lui ait permis d’entrer dans sa propre vie. Et ce qui est pire, il ne dit jamais d’une seule fois tout ce qu’il veut de quelqu’un ; il le manifeste petit à petit et par des médiations moins imposantes. Il présente ses nouvelles exigences, après que celles préalables soient accomplies : “à chaque découverte suit une nouvelle énigme”108. Surmontée l’épreuve de l’obéissance (Lc 1,38.45), Marie initia un processus d’apprentissage, marqué par l’incompréhension (Lc 2,19.51), pas exempt de douleur (Lc 2,35) ni à l’abri de la solitude (Lc 8,20-21).
Ainsi, pédagogiquement, sans affliger avec des tâches accumulées, Dieu favorise que le croyant se maintienne en état de continue obéissance. C’est vrai que pas tout le monde supporte cette pédagogie, ni le rythme, de Dieu. Et en cela se base la différence. Marie, même si elle est mère, s’est toujours maintenue servante de son Dieu. Serons-nous prêts à apprendre de Marie?
63 Synode des Évèques, XV Assemblée Générale Ordinaire, Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Document Préparatoire (=DP), nº. 3.
64 DP, III, 5.
65 “Petit village de quelques 500 habitants, situé dans la baisse Galilée…, dans un environnement très fertile. Ses habitants étaient certainement des agriculteurs, par conte autrui… Ceux qui ne se dédiaient pas à l’agriculture étaient de modestes artisans“ (Isabel Gómez Acebo, Lucas, Estella, Verbo Divino, 2010, 39).
66 La tradition évangélique mentionne toujours Joseph avec l’origine de Jésus (Lc 1,27; 2,4.16; 3,23; 4,22; Mt 1,16-24; 2,13.19; Jn 1,45; 6,42). Le lignage davidique de l’époux de Marie (Lc 2,5; cf. 2 Sam 7,1-17), légitime, d’avance, la filiation davidique de Jésus (Mt 9,27; 12,23; 15,22; 20,30.31; 21,9.15; Mc 10,47-48/Lc 18,38-39). Aucun auteur du NT affirme que Marie était de la ligne de David.
67 Dieu appelle Marie “comme instrument de son plan et la conduit par un processus pour lequel elle n’a pas de formation ou préparation préalables. Dieu seulement lui promet d’être avec elle pendant toute l’expérience et elle répond avec sa totale disponibilité » (Darrel L. Bock, Lucas. Del texto bíblico a una aplicación contemporánea, Miami, Editorial Vida, 2011, 57).
68 “La réponse normale à la salutation de l’ange est un silence inquiet (v. 29), et «sois sans crainte», la stimulation attendue (v. 30). Le doutes (ou, comme ici, la question v. 34) sont une réaction habituelle à un message divin, qui forcément prend quelqu’un au dépourvu. Selon les règles, l’ange promet un signe (v. 34), qui est en même temps la réponse à la question” (François Bovon, El evangelio según San Lucas. I. Lc 1-9, Salamanca, Sígueme, 1995, 105).
69 Gabriel apparait à Zacharie pour lui dire, sans l’avoir salué, que sa demande a été écoutée et il aura un enfant (Lc 1,11-13); par contre, il est un envoyé à Marie et, après l’avoir saluée, arrive à lui dire que, sans l’avoir demandé, elle a trouvé grâce devant Dieu (Lc 1,26-28). La différence est remarquable.
70 Cf. Juan J. Bartolomé, “‘Alégrate, agraciada’ (Lc 1,28). La alegría de ser llamada”, Ephemerides Mariologicae 60 (2010) 217-229.
71 “Both as a woman and a young person, Mary had virtually no social status. Neither the title (‘favored’ or ‘graced one’) nor the promise (‘the Lord is with you’) was traditional in greetings, even had she been a person of status” (Craig S. Keener, The IVP Bible Background Commentary. New Testament, IVP Academic, Downers Grove, Ill., 22004, 181).
72 Le mot « grâce » “charge l’accent sur la source de la bonté plus que sur ses effets. Par rapport à Marie, en concrète, signale qu’elle est objet de la grâce et la faveur de Dieu” (Carroll Stuhlmueller, “Evangelio según san Lucas”, Raymond E. Brown – Joseph A. Fitzmyer – Roland E. Murphy, eds., Comentario Bíblico San Jerónimo. III, Nuevo Testamento 1, Madrid, Cristiandad, 1971, 314).
73 Semblable réaction pourrait indiquer aussi que Marie aurait eu l’intuition, au moins initialement, de ce que de tels mots impliquaient. Car, autrement, on ne comprendrait pas bien sa perturbation (cf. Mt 2,2-3).
74 Joseph Schmidt, El evangelio según San Lucas, Barcelona, Herder, 1968, 63.
75 Marie ne publie pas son intention de rester vierge. La formule n’exprime pas le propos pour l’avenir, mais plutôt indique l’état actuel (cf. Gén 4,1). Ni la virginité était un idéal de vie pour une femme juive, qui était déjà mariée (Lc 1,28), l’aurait adopté. Plus invraisemblable encore, étant donné qu’il n’a aucun support dans les données bibliques disponibles, serait de supposer qu’avant l’annonce le couple se serait mis d’accord (cf. Mt 1,18.20).
76 Bovon, Lucas. I, 115.
77 Lc 1,7.36: Elisabeth était stérile ;Lc 1,34: Marie étais vierge. Toutes les deux, et pendant qu’elles le soient, sont incapable de procréer, c’est-à-dire, de réaliser par elles-mêmes ce que l’ange leur avait promis.
78 “Joseph is a son of David, but Mary has not yet joined his household and thus has no claim on his inherited status… She is not introduced in any way that would recommend her to us as particularly noteworthy or deserving of favor divine… Nothing has prepared her (or the reader) for this visit from an archangel or for such exalted words denoting God’s favor” (Joel B. Green, The Gospel of Luke, Grand Rapids – Cambridge, W. E. Eerdmans, 1997, 86).
79 Tous les récits bibliques de vocation se présentent – avec plus ou moins de clarté – comme dialogue que Dieu entame avec celui qu’il choisit et à qui il commande une mission. C’est lui qui se compromet avec l’appelé et lui facilite la réponse qu’il demande. Répondre à ce dialogue rend possible accéder à Dieu le Père, avoir Dieu comme fils et posséder Dieu comme Esprit qui facilite l’impossible. Ni plus ni moins.
80 “In describing herself as the Lord’s servant (cf. 1:48), she acknowledges her submission to God’s purpose, but also her role in assisting the purpose” (Green, Luke, 92).
81 Raymond E. Brown – Karl P. Donfried – Joseph A. Fitzmyer – John Reumann, María en el Nuevo Testamento. Una evaluación conjunta de estudiosos católicos y protestantes, Salamanca, Sígueme, 21986 127.
82 DP, III.5.
83 Schmidt, Lucas, 92.
84 Elle est incertaine, la liaison de la naissance de Jésus à Bethleem avec le cens de Quirinus, qui aurait eu lieu autour du 6 d. C. (Hch 5,37; Josefo, Ant. 17,13,5; 18,1.1). Il n’existe pas – encore – évidence sur un cens universel sous Auguste (27 a. C. – 14 d. C.) ni sur l’obligation des contribuables de se recenser à l’endroit de leurs aïeux; d’habitude ils se recensaient à l’endroit où ils avaient des propriétés ou leur domicile. Cf. Joseph A. Fitzmyer, El evangelio según Lucas. II. Madrid, Cristiandad, 1986, 208-218. Según Keener, “pottery samples suggest a recent migration of people form the Bethlehem area to Nazareth around the period, so Joseph and many other settlers in Galilee may have hailed from Judea. Joseph’s legal residences is apparently still Bethlehem, where he had been raised” (Commentary, 185).
85 Bovon, Lucas. I, 176.
86 “À la naissance de Jésus règne la solitude. L’ombre de la croix se projette déjà sur ces premiers jours de sa vie” (Luis F. García-Viana, “Evangelio según san Lucas”, en Santiago Guijarro – Miguel Salvador (eds.), Comentario al Nuevo Testamento, Madrid, Casa de la Biblia, 1995, 196).
87 Les motifs parallèles sont évidents : apparition angélique (Lc 1,26; 2,10), n’aye/n’ayez pas peur (Lc 1,30; 2,10), accoucher (Lc 1,31; 2,11), Sauveur (Lc 1,31; 2,11), Fils de l’Altissime, Messie (Lc 1,32; 2,11), trône/cité de David (Lc 1,32; 2,11), signe (Lc 1,36; 2,12), disparition angélique (Lc 1,38; 2,15).
88 Différemment de Mathieu, qui fait que des savants païens cherchent le roi des juifs avec l’intention de l’adorer (Mt 2,1-2), Lucas, plus sensible aux déclassés, préfère que des bergers, gens marginaux en Israël écoutent d’un ange la bonne nouvelle (Lc 2,10).
89 “Nothing very glorious is suggested by the circumstances of the Messiah’s birth. But that is Luke’s manner, to show how God’s fidelity is worked out in human events even when appearances seem to deny his presence or power” (Luke T. Johnson, The Gospel of Luke, Liturgical Press, Collegeville, 1991, 52).
90 Lc 2, 1-5 situe la naissance de Jésus à Bethleem dans l’histoire universelle et, différemment de Mt 2,5-6, en accomplissement d’une décision politique, pas de l’annonce prophétique (Miq 5,1-3).
91 “À travers les signes, se respectent la transcendance de Dieu et l’indépendance de son action ; mais le signe présente en même temps… que Dieu agit certainement au milieu de ce monde” (Bovon, Lucas. I, 184). La différence par rapport aux magiciens du récit de Mathieu, est évidente : les bergers en Lucas n’ont pas besoin de poser des questions (Mt 2,1-2), parce que leur fut révélé (Lc 2,11); ils ne cheminent pas, incertains, en suivant des étoiles au ciel (Mt 2,9-10), parce qu’ils savaient qu’ils le trouveraient « emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2,12).
92 “‘Amazement’ is not tantamount to faith… This is the response of the undifferentiated crowds in 2:18, but not of Mary. For her, more reflection is needed in order to appreciate fully the meaning of this concurrence of events” (Green, Luke, 138).
93 Bovon, Lucas. I, 191. Marie “écouta la parole de la façon que Dieu veut” (Alois Stöger, El evangelio según San Lucas. I, Barcelona, Herder, 1979, 87).
94 “This last expression has sometimes been interpreted as coming to a right understanding of its significance. More likely, however, is Luke’s narrative it retains the idea of puzzlement. Here and in the episode in the temple, Mary has not yet come to a complete understanding of the significance of Jesus” (E. Franklin, “Luke”, John Barton – John Muddiman, eds., The Oxford Bible Commentary, Oxford, University Press, 2001, 929).
95 Différemment de Jean, qui reçoit le nom de Zacharie, son père, une fois né (Lc 1,63), les parents de Jésus lui mirent le nom que l’ange leur avait donné, avant d’être conçu (Lc 2,21). Lucas, en plus, omet le rituel du rachat de Jésus comme premier-né (cf. Éx 13,2.12-13).
96 En plus de par ses parents (Lc 2,21), en Lucas Jésus est appelé par son propre nom seulement par le possédé de Gerasa (Lc 8,28), les dix lépreux (Lc 17,13), l’aveugle de Jéricho (Lc 18,38) et le bon voleur (Lc 23,42); tous des personnes qu’il sauva.
97 “This closing remark reminds us that Jesus will be reared in a home headed by parents who stand on the side of God’s purpose” (Green, Luke, 152).
98 Quelqu’un suggère que la division et controverse que Jésus suscitera pendant son ministère public est partagée par Marie : “comme part de Israël, elle doit être jugé par sa réaction dernière vers l’enfant mis pour “la chute et le relèvement de beaucoup” (Brown – Donfried – Fitzmyer – Reuman, María, 155). Elle aussi “la croyante modèle, devra se décider en faveur ou contre la révélation de Dieu en Jésus ; les liens familiers ne suscitent pas la foi” (Robert J. Karris, “Evangelio según Lucas”, en Raymond E. Brown – Joseph A. Fitzmyer – Roland E. Murphy, eds., Nuevo Comentario Bíblico San Jerónimo. Nuevo Testamento y artículos temáticos, Estella, Verbo Divino, 2004, 146). Mais il ne semble pas justifié de voir ici quelque “genre de doute christologique dans le cœur de Marie”; mais plutôt, s’il prédit que “l’œuvre publique de Jésus aura des conséquences personnelles” (Bovon, Lucas. I, 214).
99 Schmidt, Lucas, 114.
100 Il n’y avait pas d’unanimité sur le devoir de participer au pèlerinage qui incombait aux femmes et enfants (cf. Bill 2,141-142).
101 En Lc 2,19 syntērein, préserver, garder, décrit la réaction de Marie, en Lc 2,51 est utilisé diatērein, un synonyme qui indique plutôt la duration; son utilisation en Gn 37,11; Dn 4,28 signalerait “la perplexité interne d’une personne qui essaie de comprendre le signifié profond de ce qu’on lui a raconté” (Fitzmyer, Lucas. II, 233).
102 “Marie n’a pas capté tout de suite tout ce qu’elle a écouté, mais elle écoutait volontiers, en laissant que les événements approfondissent dans sa mémoire, et en essayant d’en extraire un signifié… L’idée de sa croissance en tant que croyante carrerait aussi à 2,51, où elle garde dans son cœur des paroles difficiles de Jésus, qui contiendraient une répréhension pour elle” (Brown – Donfried – Fitzmyer – Reuman, María, 150).
103 Fitzmyer, Lucas. II, 205. “They were peasants, located toward the bottom of the scale of power and privilege… Good news comes to peasants, not rulers; the lowly are lifted up” (Green, Luke, 130-131).
104 Bovon, Lucas. I, 192.
105 “What readers cannot identify with the shock, anguish, and confusion of the parents, or the tension felt by the adolescent between piety owed parents and the pull of a higher vocation?” (Johnson, Luke, 60).
106 Encore plus pour Joseph, qui, à partir de ce moment, disparait du récit, et de la vie de Jésus.
107 “María experimentará en su propia carne el significado de esa división familiar que el cumplimiento de la misión de su hijo va a traer como consecuencia; su relación con Jesús no va a limitarse al ámbito puramente maternal, sino que implicará una vinculación trascendente, superior a los lazos de carne y sangre, es decir, la fidelidad del discípulo” (Fitzmyer, Lucas. II, 248).
108 Stöger, Lucas. I, 106.